C'était le...

Publié le par Teen voice

Verdun, Mardi 18 novembre 1916

Ma chère Victoire,

J’espère que tout va bien chez nous. Ici les jours se ressemblent. Les obus éclatent, la terre tremble, les hommes sortent des tranchées avec pour seule motivation : « marche ou crève ».La plupart d’entre eux ne reviennent pas. D’autres les remplacent. Chaque jour, de nouveaux arrivants, et ils sont de plus en plus jeunes ! Hier, deux hommes de compagnie sont morts, l’un de dix-sept ans, l’autre de dix-huit ans .Ils avaient à peine vécus que les voici enterrés. Mais ces morts, tragiques, sont quotidiennes. Elles apportent leur lot de cadavres entassés dans nos tranchées. Les odeurs sont insupportables. Et les cris des blessés ! Si seulement je pouvais ne pas les entendre !

Les rats bien plus gros que ceux de nos caves, grignotent aussi bien les cadavres que nos rations. Un jour, il y en même un qui a grimpé sur mon bras, pour essayer de chiper dans ma gamelle. Je me demande parfois si ce n’est pas nous qui sommes devenus des rats faibles, et eux les hommes qui nous piétinent.

Un obus éclate. Quel bruit infernal ! Le silence n’existe pas ici .Je m’étonne de pouvoir encore entendre. Pour moi qui aie vécu dans la grande ville, bien loin de tout ceci, les premiers mois de guerres ont été durs. Mais je te l’ai déjà raconté, et je sais maintenant qu’il y a pire que toute cette boue, ces rats et ces morts : le pire est de sen sentir mort avant de l’être vraiment. Cette guerre ne laisse pas de place à l’espoir. Je commence à douter qu’elle finisse un jour. Si par miracle ce jour arrivait, je ne pense plus être là pour le voir. Ne sois pas triste ma Victoire, mais même si je rentre un jour, je ne serais plus le même homme. Vois-tu, moi j’ai toujours été fier de mes valeurs, de toute cette philosophie de ce pacifisme qui m’habitait. J ai tué… comme tous les autres, car lorsque l’on se trouve face à la mort, on ne pense qu’à survivre. On sait que si l’on ne tue pas l’autre devant nous, lui, nous tuera. Alors on tue, dans le feu de l’action, sans réfléchir, tout simplement par un instinct de bête qui lutte pour sa survie .Et c’est cela, l’effet de la guerre, elle nous transforme en bêtes inconscientes.

Au début, quand on rentre sauf à la tranchée, on pense à toutes les vies qu’on a prises, à toutes celle qu’on a détruites indirectement. Puis, au fil des meurtres que l’on commet, au fil des cadavres qui défilent devant nos yeux, on oublie qu’ils sont des hommes, qu’ils ont, comme nous, des femmes et des enfants, une famille, des amis. Ils ne sont plus que des ennemis.

Tu me manques. Comme j’aimerais me blottir contre toi, ne plus rien entendre, ne plus rien voir, oublier jusqu’à ma vie, ne garder que notre amour. Faire comme si tout ceci n’existait pas. Mais c’est impossible. Ton souvenir seul me fait survivre, et pour toi seule, je tacherais de revenir.

Je te dis à bientôt,

Ton amour, Robert.

lettre rédigée par Anna

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